L'histoire de CROSE

La Coordination Régionale des Organisations du Sud-Est (CROSE) est née de l’initiative d’un groupe d’individus qui, face au comportement des élus locaux par rapport aux organisations de la société civile, notamment les organisations de base a souhaité promouvoir de nouvelles réflexions sur le développement régional et local mais aussi inciter les groupes à des pratiques organisationnelles plus cohérentes.

Au départ (de 1996 date de sa création, à 1998) l’organisation s’était confinée dans l’arrondissement de Jacmel, plus précisément dans les communes de la Vallée, Cayes Jacmel et Jacmel ; avec quand même une présence forte à Bainet. Elle était aussi limitée à une organisation de délégués des différentes zones précitées. Ce mouvement, à partir de 1999 s’est étendu sur le plan territorial, a modifié les modalités de participation impliquant les organisations comme structures de base et s’est approfondi aussi sur le plan de la réflexion se définissant comme un « mouvement social régional ».

Le mouvement part de l’hypothèse que la crise aiguë que traverse aujourd’hui le pays, crise multidimensionnelle, à la fois structurelle et conjoncturelle, est fondamentalement une crise d’État-Nation. Cette crise a atteint ses limites extrêmes (aspect conjoncturel), et renvoie à des questionnements pertinents concernant le vouloir et la capacité de vivre ensemble, le modèle social (s’il y en a un) mis en place, les fondements économiques (incluant  les mécanismes de production et de distribution de biens et de services), l’organisation de l’Etat, ses articulations avec la société et sa capacité de représentation  de la nation dans sa forme et logique actuelles.

En effet, historiquement l’Etat n’a jamais su représenter la nation ni défendre ses intérêts. Au contraire, il a développé et entretenu au travers de différents modèles de pouvoir personnel, des mécanismes et des pratiques totalitaires qui bloquent et tuent le collectif national favorisant l’iniquité, l’exclusion et la marginalisation, le favoritisme, le népotisme et la corruption. Maintes fois il s’est comporté comme une entité antinationale. Le projet de construction nationale, initié pourtant sur des bases solides, au lendemain de l’indépendance s’est estompé avec l’assassinat en 1806 de Jean-Jacques Dessalines. Malgré le réveil brutal du nationalisme haïtien occasionné par l’occupation américaine (1915 –1934), la construction et le maintien par le secteur populaire de mécanismes de résistance, les élites, toutes confondues, n’ont pas su, sur ces bases, relancer le projet national.

Le pays s’est donc retrouvé enfoncé dans une spirale de dépendance en particulier Nord Américaine avec une perte accrue de souveraineté. L’Etat n’est que le relai d’un pouvoir désormais hors de portée des haïtiens. La fonction représentative disparaît et avec elle la dimension collective. Le pouvoir relais d’Etat devient alors le pouvoir personnel d’un homme et de sa clique gérant les affaires de la nation dans les marges autorisées entre ses ambitions démesurées et les intérêts pas forcément explicités mais toujours obtenus de la ou des puissances tutrices. Bien entendu cet Etat vidé de sa substance, sans projets, sans instruments opérationnels pour des actions vers le collectif, désarticulé, sombrant au fur et à mesure dans une complète anarchie, a toujours su conserver et développer, d’un mode à l’autre, sa capacité répressive et destructrice.

Les pratiques prédatrices, autoritaires et centralisées de l’Etat ont fini par saper les bases de vie et de survie de la population notamment rurale, ruiner les initiatives collectives et individuelles et décourager toute émergence de lieux ou d’espace, de dialogue, de concertation ou de recherche de synergie indispensable à l’articulation et à la régulation sociale. L’individualisme est poussé à l’extrême au détriment de la recherche de réponses collectives ; tous les coups sont permis ; toutes les affaires sont bonnes. Le tissu social ne tient plus, les liens disparaissent, le social est éclaté sur fonds de crise de modèles, de systèmes de valeur et de repères identitaires.

Aujourd’hui le défi majeur est la reconstruction d’une entité collective nationale capable de rapatrier la souveraineté et de définir ses intérêts et ses modalités pratiques de vie communautaire, impliquant la définition du cadre et du processus démocratique et décentralisé à mettre en place, donc du type d’Etat à faciliter l’émergence, les processus de développement durable et équitable à promouvoir et la qualité et le niveau de vie souhaités en relation avec les références identitaires, les potentialités et/ou solidarités à rechercher. La Coordination Régionale Des Organisations du Sud Est (CROSE) comme mouvement social s’inscrit dans cette triple démarche.

Le choix d’intervenir sur le plan régional plutôt que national s’explique principalement par la nécessité de faciliter l’émergence de pôles régionaux (un pour le moment) seuls capables de porter la dimension décentralisée et participative, à la fois creuset et moteur de transformations politiques, sociales, culturelles et économiques. Il participe également à un souci de privilégier la démarche consensuelle à travers le dialogue des communautés articulées, donc de construction de leadership collectif plutôt qu’une recherche d’hégémonie sur le plan national, recherche hégémonique qui historiquement a toujours été déviée vers l’autocratie, l’autoritarisme, voire le totalitarisme. Il mise aussi sur l’efficacité et l’efficience de la gestion de proximité, ainsi que sur la cohérence de l’aménagement d’espaces de vie liés à des collectivités, s’appuyant sur leurs potentialités  et leurs spécificités. Enfin, il répond au besoin de construire une référence qui puisse alimenter les efforts de recomposition sociale, de gestion autonome décentralisée et le développement de nouveaux rapports entre l’Etat central et les collectivités décentralisées.